Le temps s’annonçant nuageux sur les vallées Françaises, je décide de prendre la route de l’Espagne, afin de visiter le village « deshabitado » (inutile de traduire…) de Muro de Bellos.
Ouvrons une page d’histoire :
Le destin de ce village est lié à celui du Sobrarbe, petite région au nord de l’Aragon. Le Sobrarbe s’est dépeuplé dans les années 60 et 70 et compte aujourd’hui 3 habitants au km² (l’équivalent du Sahara !) et 30% de la population qu’il comptait au début du XXème siècle.
Cet exode est principalement dû au régime Franquiste qui l’a sacrifié sur l’autel du progrès, détruisant de nombreux villages et expulsant leurs habitants :
- pour le reboisement et l’exploitation des prairies où paissaient les troupeaux
- pour la construction de grands barrages assurant l’irrigation des régions méridionales
- pour l’installation des centrales hydro-électriques, noyant des hectares de terres agraires (les plus fertiles inévitablement)
Le Sobrarbe n’a malheureusement pas pu bénéficier de ces ressources locales, destinées à d’autres régions plus propices au développement du pays.
Après avoir laissé la voiture à la sortie d’Escalona, j’emprunte à pied la route (carrossable seulement en 4×4) et ses quatre kilomètres sous un soleil de plomb. Dépaysement total après la balade en raquettes dans le Néouvielle la veille : sous les sapins, l’odeur du romarin se mèle à celle des buis et des genêts. Distrait par cette atmosphère, c’est l’envol d’un vautour quelques mètres au-dessus de ma tête qui me ramène à la réalité : mes pas ont dû le déranger. Le constat est clair : je ne vais pas rencontrer grand monde aujourd’hui !
J’ai tout de même la chance d’observer, après quelques minutes, un impressionnant criquet (égyptien ?) long d’environ 5 cm !
Quelques lacets plus hauts, j’aperçois enfin le village sur son promontoire : un modeste clocher et une grande bâtisse éventrée.
Je continue ma progression pour atteindre l’entrée du village, surplombée sur la gauche par l’église et plusieurs habitations, tandis que de plus modestes constructions sont dispersées le long de la route qui file plus loin sur le flanc des collines. La végétation recouvre plus ou moins les terrasses, vestiges d’une activité agricole passée, au pied des fondations.
Le point de vue est magnifique, du lac de Mediano au sud jusqu’au cañon d’Anisclo au nord, au pied des sommets enneigés.
J’entre dans la « grand-ruelle » pentue et étroite qui serpente entre les maisons, jonchée de moellons et de lauzes, ces dalles de pierre qui constituent la toiture des maisons traditionnelles. La désolation est partout, jusqu’au porche de l’église Santa Maria (XVIème siècle).
La porte, disposée à l’intérieur, et les peintures bleues défraîchies sont protégées de l’intrusion des troupeaux par une barrière métallique scellée à son entrée.
Je contourne ensuite l’église pour atteindre le petit cimetière où subsistent quelques croix noyées dans l’herbe, à l’ombre du clocher, dont la cloche frappée en 1691 garde le silence depuis des dizaines d’années.
Après avoir arpenté les ruelles et jeté prudemment un œil indiscret dans ces habitations à l’équilibre fragile, je m’installe sur un muret situé à l’entrée du village, protégé du soleil par un pêcher, pour y déjeuner. Le silence est à peine troublé par un tintement de cloche : seules, deux paisibles vaches ont pris leurs quartiers dans une ruine à l’autre extrémité du village.
Rassasié, je reprends ma visite en rejoignant ces constructions plus éparses et éloignées du village. Dans la première d’entre elles, la structure métallique d’un lit gît sous les restes du plancher et de la charpente effondrés. Dans quelles conditions les villageois ont-ils déserté leurs habitations ?
Si l’environnement est magnifique et enchanteur, plusieurs questions me taraudent : je n’ai pas vu de puits et je me demande comment le village était alimenté en eau. D’autre part, le village bénéficie de l’électricité et dispose de quelques éclairages publics, mais seules deux ou trois maisons semblent alimentées : les lignes électriques ont été installées après les grands travaux franquistes, donc sans aucun doute après l’exode des habitants de Muro de Bellos…
La visite terminée, je reprends la route avec la sensation amère d’avoir été témoin du sacrifice de ce village, renforcée par l’impression que sa position et son environnement paradisiaque devaient en faire un cadre de vie propice au bien-être de ses habitants.
Plusieurs de ces villages « deshabitados » ont bénéficié d’une restauration ces dernières décennies et connaissent aujourd’hui une nouvelle vie, touristique principalement, à l’image de Liguerre de Cinca, El Pueyo de Araguas, Morillo de Tou ou Coscojuela…
Espérons qu’un jour, avant qu’il n’en reste qu’un tas de pierres envahi par la végétation, le village de Muro de Bellos puisse être entretenu pour préserver ce témoignage d’un passé pas si lointain…
J’adore l’espagnol et encore plus découvrir de nouveau coin espagnol. Ca doit être très étrange d’être dans ce village abandonné tu dois te sentir un peu seul au monde. Merci pour la découverte, j’irais faire un tour! 🙂
Hugues, au Salon du Livre ce w-e j’ai pensé à toi, car il y avait une exposition photo d’un photographe espagnol et il y avait 1 ou 2 photos sur ce village abandonné espagnol. Le photographe s’appelle Fernando Biarge.
Quel dommage de laisser ce village abandonné. Merci pour ces magnifiques photos avant que ce village disparaisse complètement.
magnifique.
Envie de visiter
Beau reportage Hugues, belles photos qui donnent envie d’aller visiter ce qui semble être un véritable havre de paix 🙂
Bonjour à tous,
Il y a une fontaine et l’eau y est délicieuse. Elle se situe sur le versant sud-ouest: partant du centre du village, se diriger vers la montagne et passer sur le coté gauche des granges se situant sur cette sorte de col (entre Muro de Bellos et la montagne). Vraiment magnifique, le village se dégrade de plus en plus rapidement tout de même…il faudrait au moins sauver l’église ! La route à cependant été fraichement goudronnée et cela signifie peut-être quelquechose…